L’Archéologie créative



Difficile de définir le style avec lequel débute cet excentrique artiste praguois, d’origine ouzbek. Des images poétiques et ironiques à la fois, des animaux totémiques, des thèmes naturalistes contenus dans des réductions géométriques, des portraits et des figures d’origine et d’inspiration asiatique, ou plutôt, selon ses dires, chamaniques, tout cela avec un fort impact visuel et chamarré. Aquarelles, qui la plupart du temps ressemblent à des impressions réalisées sur des superficies irrégulières, altérées par des traces antérieures, ressemblant presque à des palimpsestes recyclés ou à des parchemins décolorés. Oeuvres aux titres qui entrecroisent l’ouzbek, le yiddish, l’anglais macaronique, le russe et l’espagnol, créant quelques fois des jeux de mots raffinés et des effets de sens en contraste avec la formulation de l’image picturale joyeusement limpide. Mais sur le fond de cette peinture chamanique, on trouve véritablement cela : la matérialité des symboles et des segments qui y sont anthropomorphisés, les formes du monde animal ou vivant reportées sur le plan symbolique de l’aplanissement géométrique, sans compter l’iconisation déclarée de l’image. C’est ainsi que se réalise l’affrontement entre les deux plans superposés du signe et de signifiant, duquel jaillit un paradigme interprétatif toujours amusant et captivant, un discours dont les suggestions symboliques ne nuisent pas, mais au contraire valorisent l’apparente simplicité du message visuel.

Presque parallèlement à la peinture chamanique, naît également le mouvement consacré à l’environnement italien, plus spécifiquement toscan, région où Beck a trouvé demeure ces dernières années. Entrecroisant les origines spirituelles asiatiques à l’halo mystique qui depuis toujours entoure la disparition de la culture étrusque, Beck recrée sa vision personnelle de l’habitat du peuple arrivé de la mer. Marqué profondément par les importantes statues étrusques misent au jour dans les années 1970, exposées aujourd’hui au Musée Étrusque de Murlo, aux alentours de Sienne- statues qui portent des chapeaux identiques par la forme à celles des carreteros mexicains ( mais aussi à quelques antiques statues funéraires chinoises), aux yeux modelés selon les canons des masques tribaux africains et aux longues barbes de pure style babylonien-, l’Artiste s’aperçoit que ces pièces, véritables « archétypes de métissage », peuvent se révéler la pointe d’un iceberg beaucoup plus imposant : il se jette alors dans un exténuant travail de recherche. Finalement, son intuition le porte vers un ancien établissement étrusque et de culture autochtone, que Beck, pour la distinguer des hypothèses historiques désormais renommées, rebaptise Etruvia. Bien vite, ses efforts portent ses premiers fruits (Beck, polyvalent, s’est formé au travail d’archéologue directement sur le terrain il y a quelques années, participant aux fouilles dans les zones de Samarcanda et de Khiva en Ouzbékistan) : des anciens murets et des cavités souterraines perdus dans la campagne ignorée du tourisme, commencent à rendre des trésors gardés pendant des millénaires. C’est ainsi que Beck annonce à la fin du printemps 2007, la découverte d’une quantité importante de fragments de manuscrits et de dessins, dénommés par la suite « le trésor Etruvien », et se met à restaurer et à remettre à jour les parties les moins endommagées par le temps et les intempéries. Très vite, il réalisera qu’au milieu de ce matériel amplement hétérogène, que ce soit par l’incompréhension linguistique (n’oublions pas que l’écriture de ce peuple reste jusqu’à aujourd’hui indéchiffrée), ou par la multitude de contenus artistiques appartenant à tous les niveaux expressifs, un groupe d’œuvres se distingue cependant par la clarté de son langage visuel et par sa densité stylistique : certaines d’entres elles conservent les traces d’un même sigle artisanal. De cette manière, Beck parvient, par le biais d’un travail minutieux, à identifier et à isoler une source d’art antique jusqu’ici inconnue attribuable à un auteur (ou tout au plus, à sa boutique) qu’il appellera Anonyme Etruvien.

L’exposition, accueillie par le prestigieux LifeGate Café, consacrée exclusivement aux œuvres de l’Anonyme Etruvien, retrouvées, recomposées et restaurées par Marwin Beck, offre un regard fascinant sur ce passé qui pendant tant d’années fut rejeté dans les méandres de l’oubli. Beck nous conduit dans le cœur de l’ancienne Etruvia, peuplée de gens occupés par la pêche et le jardinage. Il nous donne à voir des regards envoûtants et intenses, pleins d’une singulière nostalgie pour leur monde disparu, sur le fond d’un convaincant scénario collinaire toscan. A travers les exemples extraordinaire mis à jour par Beck, une chose apparaît désormais plus qu’évidente : les gestes et les postures chargés d’une émotivité intérieure débordante, presque baroque et de claire matrice méditerranéenne, d’une simplicité lucide et d’une fine habilité, prédisent, dans la myriade des petites influences ou des évidents emprunts composites, thématiques et structuraux, ce qui réapparaîtra, des siècles plus tard, autant dans la peinture classique, que dans celle du modernisme antiacadémique du début du XXe siècle.
Une section importante des œuvres exposées est consacrée à la faune et la flore étruvienne, dans laquelle domine la série ichtyographique et ornithographique qui nous surprend et nous fascine non seulement pour l’antique maestria de l’exécution détaillée, mais aussi pour ses implications scientifiques. En effet, ces séries semblent prédire, à distance de quelques siècles, ce que seulement l’époque moderne, Les Lumières et l’encyclopédisme européen rendront possibles, à savoir la classification et l’observation scientifique détaillée des espèces vivantes, démontrant également dans ce domaine comment la culture étruvienne posa une grande partie des bases sur lesquelles reposent notre civilité même.

(traduction on Français du Aurore Navarro)